Entretien avec le Dr Jean-Claude Chatard. Un article de la revue Cardio&Sport N°41. Propos recueillis par le Dr Jean-Michel Guy (cardiologue du sport, centre de réadaptation cardiorespiratoire de la Loire, Saint-Priest-en-Jarez)
Le Dr Jean-Claude Chatard* est médecin du sportphysiologiste au CHU de Saint-Étienne et maître de conférences-praticien hospitalier. Il a été champion du monde du 400 m nage libre dans la catégorie Masters en 2004.
Jean-Michel Guy : Les cardiologues du sport connaissent mal les contraintes cardiovasculaires de la natation. Quelles en sont les particularités ?
Jean-Claude Chatard : Je pense qu’il y en a deux majeures. La première est que la natation est un sport “porté”, effectué en position horizontale et réalisé dans un environnement aquatique. La seconde est que l’expiration forcée dans l’eau impose certaines contraintes physiologiques. Du fait de la position allongée et de la semi-pesanteur, le nageur est proche du cosmonaute. De plus, l’eau exerce une pression sur le corps. Le retour veineux est donc augmenté avec un volume sanguin thoracique augmenté d’à peu près 1 L par rapport aux sports terrestres. Ainsi, grâce à ce retour veineux augmenté, le volume d’éjection systolique est un petit peu au-dessus de la moyenne, entre 10 et 15 % de plus que dans les autres types d’activités sportives pour le même niveau d’effort. À cette adaptation s’ajoutent les contraintes de l’environnement et du type d’effort. En effet, la température de l’eau plus ou moins “froide” et les phases d’apnée imposées par la nage immergée interviennent. Au total, l’augmentation du retour veineux et ces contraintes expliquent que la fréquence cardiaque (FC) maximale en natation soit inférieure à celles observées en course à pied ou en vélo. Cela a été bien étudié chez les triathlètes avec une baisse de leur FC individuelle de 5 à 15 bpm en moyenne. De même, certains nageurs ont une FC maximale dans l’eau nettement moins élevée que lors d’un exercice sur tapis roulant par exemple. La seconde particularité, c’est l’expiration. L’expiration est forcée et imposée, on ne peut pas respirer quand on veut. Pour toutes les nages, sauf peut-être le dos, le rythme des bras est plus ou moins rapide et la respiration suit ce mouvement des bras. Le nageur est donc obligé de forcer pour souffler dans l’eau, afin de vaincre la résistance qu’elle oppose. De ce fait, les nageurs ont une capacité vitale supérieure de 20 à 25 % en moyenne pour les mêmes caractéristiques physiques qu’un autre sportif “terrestre”. Cette capacité thoracique, pulmonaire au sens du volume, a un rôle très important. Par rapport à un sport de même intensité réalisé en dehors de l’eau, le nageur est capable de prélever plus d’oxygène, avec un temps de ventilation plus court mais un temps de circulation plus long par rapport à la même masse d’air. Au total, la concentration de l’oxygène sera plus basse, on arrive à descendre à 14-15 % dans l’air expiré par le nageur contre 16-17 % pour le coureur à pied par exemple. Cet effet spécifique sur la capacité thoracique peut être bénéfique pour certaines pathologies comme les scolioses, la spondylarthrite ankylosante ou l’asthme.
J.-M.G. : L’exigence de la natation sur le plan cardiovasculaire et pulmonaire est donc très importante.
J.-C.C. : Oui, il est difficile d’atteindre un quotient respiratoire (rapport des débits de gaz carbonique éliminé et d’oxygène prélevé = QR) supérieur à 1 dans l’eau. Pour les nageurs d’élite, le VO2max est élevé car la masse musculaire (bras-jambes) mise en jeu est importante, un peu comme au ski de fond. D’ailleurs, les nageurs sont souvent de bons fondeurs. J’ai mesuré des consommations d’oxygène de champions olympiques autour de 75 ml/min/kg. Mais, comme les conditions de mesure sur le terrain sont très difficiles, il est très probable que chez les champions actuels, les 80 ml/min/kg soient dépassés.