Champion de France V2 de trail 2014… et coronarien ponté. Propos recueillis par le Dr Philippe Canu (Club Mont-Blanc Coeur et Sport, Sallanches).
Denis Hayetine, 55 ans, champion de France V2 de trail
Le 28 septembre 2014, à Buis-les-Barronies (26), Denis Hayetine, 55 ans, a été sacré champion de France V2 de trail, ayant parcouru les 60 km du parcours et les 3 200 m de dénivelé positif, en 7 h 13. Le parcours de ce sportif exemplaire, modeste et discret, n’a cependant pas toujours été simple… Rencontre avec un athlète « hors-norme ».
Rappelons que les recommandations actuelles contre-indiquent la pratique de la compétition, sauf pour quelques sports à faible contrainte dynamique et statique, chez le patient coronarien avec maladie coronaire « classique » athéromateuse.
Le cas de Denis Hayetine est exceptionnel. Il n’est absolument pas représentatif de la population générale des patients coronariens, du fait de la nature même de son affection, liée à une hémopathie (thrombocytémie essentielle), aujourd’hui traitée et bien contrôlée, et non à une altération et à un dysfonctionnement de l’endothélium vasculaire, en rapport avec les facteurs de risque habituels (tabac, HTA, diabète, dyslipidémie…). Si son parcours est le même que celui des autres coronariens, à travers l’épreuve qu’il a dû affronter (et su surmonter !), la nature et le pronostic de sa maladie sont cependant très différents.
Dr Philippe Canu : Denis, tu viens de te hisser au plus haut niveau national dans ta catégorie. Peux-tu nous retracer les grandes lignes de ta carrière de sportif ?
Denis Hayetine : Je suis originaire des Ardennes. Enfant et adolescent, je pratiquais le football. Ensuite, surtout entre 1982 et 1990, j’ai fait de la course à pied : semi-marathon et marathon. J’étais un coureur de niveau régional, qui courait le marathon en 3 h. Mais je n’avais jamais couru de distance supérieure au marathon. Vers l’âge de 32 ans, j’ai arrêté la compétition, mais je continuais à courir, et en 2005, à 46 ans, alors que j’étais en Haute-Savoie depuis plusieurs années, mon fils Alexandre m’a fait découvrir le trail.
P. C. : Chez les Hayetine, courir, c’est un peu une histoire de famille ?
D. H. : Oui, Alexandre, qui a 30 ans, est un trailer de niveau national. Il a terminé 10e au dernier Championnat de France. Nous faisons régulièrement des podiums, chacun dans notre catégorie d’âge, et notre club, le Club d’Athlétisme du Bassin bellegardien (CAAB), pour lequel nous courons, est vice-champion de France par équipe cette année. Ma fille Célia est aussi traileuse.
P. C. : Mais tout n’a pas toujours été aussi simple ?
D. H. : En 1995, lors d’un contrôle de médecine du travail, on m’a découvert un taux de plaquettes sanguines anormalement élevé (> 1 000 000/mm3). Les médecins ont diagnostiqué une thrombocytémie essentielle. J’ai mal vécu l’annonce de cette maladie, et je ne comprenais pas toujours bien l’intérêt de prendre un traitement plusieurs fois par jour alors que je n’avais aucun symptôme. Et en 2004, j’ai commencé à avoir des douleurs à l’effort dans la poitrine, accompagnées de malaise et de sueurs. Le bilan réalisé a montré que j’avais une artère coronaire [artère interventriculaire antérieure proximale] presque bouchée par un caillot. À cause de la localisation du caillot et du fait de ma maladie du sang, la pose d’un stent dans la coronaire n’était pas adaptée, et j’ai dû me faire opérer.
P. C. : Comment as-tu vécu cette période ?
D. H. : Très mal… Courir faisait partie intégrante de ma vie et je craignais de ne plus pouvoir faire de sport. Et j’étais très inquiet aussi à la pensée même du geste opératoire qui allait toucher mon coeur. Mais j’ai eu la chance d’avoir un chirurgien qui m’a au contraire présenté les choses en me disant que l’opération était une chance qui me permettrait de courir à nouveau (il ne se doutait pas où j’en serai 10 ans plus tard... !). Je lui en suis très reconnaissant, et je corresponds encore régulièrement avec lui. J’ai ensuite fait un stage de réadaptation cardiaque, et un an plus tard, je courais de nouveau le marathon. Ensuite, Alexandre a pensé, à juste titre, que le trail serait sans doute plus adapté à mon état…
P. C. : Comment se passe ton entraînement ?
D. H. : Je cours tous les jours quel que soit le temps, une sortie « nature » en montagne d’au moins 1 h, et une fois par semaine, je m’entraîne sur piste. Je fais du fractionné éthiopien, c’est-à-dire j’alterne des distances de 100 m en courant et en marchant. Je fais aussi du vélo de route et du V.T.T. Je porte toujours un cardiofréquencemètre, à l’entraînement comme en compétition. En plus, dans mon travail, où je m’occupais de la surveillance et de l’entretien des voies de chemin de fer, j’étais amené aussi à beaucoup marcher.
P. C. : Suis-tu un régime particulier ?
D. H. : Je fais attention, sans toutefois être un obsessionnel de la diététique. Je prends peu de sucres rapides, je mange surtout de la viande blanche, des fruits et des légumes. J’ai un jardin et je cultive moimême mes légumes. Et bien sûr, je ne fume pas. P. C. : Et sur le plan médical ? D. H. : Je vais très bien, j’ai un suivi régulier, tant sur le plan cardiaque qu’hématologique. Je prends un traitement médicamenteux pour lequel je n’ai pas de problème vis-à-vis des compétitions, car mes médicaments pourraient plutôt avoir comme effet de diminuer la performance. Je voudrais aussi que mon cas puisse servir d’exemple pour redonner courage et confiance aux malades cardiaques.
P. C. : À quel rythme fais-tu des compétitions ?
D. H. : Environ un trail par mois, souvent avec Alexandre. J’ai fait aussi des ultras, j’ai été finisher de l’UTMB en 2009. J’aime courir dans la nature, être au calme, dans de beaux paysages. Cela me donne aussi l’occasion de découvrir d’autres régions de France, et puis j’aime l’ambiance et la compagnie des autres trailers. Et parfois, je recours un marathon, ce qui m’oblige alors à un entraînement un peu différent. À 55 ans, je cours toujours le marathon en 3 h.
P. C. : Sans ce qu’il t’est arrivé, en serais-tu là aujourd’hui ?
D. H. : Je me serais probablement mis au trail, sous l’influence d’Alexandre, mais je n’aurais sans doute pas eu cette impulsion et cette envie de rebondir, qui ont été provoquées en moi par la maladie…
P. C. : Et aujourd’hui, comment vois-tu l’avenir ?
D. H. : Vivre ici, au coeur de ces montagnes que j’aime tant, avec Marie-Odile, mon épouse, entourés de nos enfants et petits-enfants, et bien sûr… continuer à courir aussi longtemps que je le pourrais... !
Rappel sur la thrombocytémie essentielle
La thrombocytémie essentielle fait partie des syndromes myéloprolifératifs chroniques, à côté de la maladie de Vaquez, de la splénomégalie myéloïde chronique et de la leucémie myéloïde chronique. C’est une affection acquise, touchant 1 à 2,5/100 000 habitants en France chaque année. Elle est à distinguer des thombocytémies réactionnelles, beaucoup plus fréquentes, liées à une infection, une pathologie inflammatoire ou néoplasique, un stress intense, ou une carence en fer.
L’âge moyen du diagnostic se situe le plus souvent après 50 ans, le sex-ratio est d’environ un pour un. Le diagnostic repose sur une augmentation constante des plaquettes sanguines (> 450 000/mm3, souvent > 1 000 000/mm3), alors que les autres lignées sanguines sont le plus souvent normales, et sur l’absence d’éléments orientant vers une cause réactionnelle. Parfois, une mutation génétique est retrouvée (portant sur le gène jAK2), mais dans moins de la moitié des cas. Au moment du diagnostic, les malades sont asymptomatiques dans la moitié des cas.
Des complications peuvent apparaître ou révéler la maladie : thromboses artérielles plus fréquemment que veineuses, touchant plus souvent la microcirculation que les grosses artères (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral). Des hémorragies ou des ecchymoses pour des traumatismes mineurs peuvent également survenir. Une érythromélalgie (rougeurs et brûlures des extrémités) est parfois notée.
Le traitement comporte, selon le stade de la maladie, une simple surveillance, des antiagrégants (aspirine à faible dose) ou des agents cytoréducteurs (hydroxycarbamide). La maladie répond bien au traitement le plus souvent, ce qui fait que l’espérance de vie des personnes atteintes est peu différente de celle des personnes indemnes.
Mots-clés : Course à pied, Trail, Coronarien, Thrombocytémie essentielle
Pour en savoir plus
• Koopmans SM, van Marion AM, Schouten HC. Myeloproliferative neoplasia: a review of clinical criteria and treatment. Neth J Med 2012 ; 70 : 159-67.
• Tefferi A, Vainchenker W. Myeloproliferative neoplasms: molecular pathophysiology, essential clinical understanding, and treatment strategies. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 573-82.
• Thiele J, Kvasnicka HM. The 2008 WHO diagnostic criteria for polycythemia vera, essential thrombocythemia, and primary myelofibrosis. Curr Hematol Malig Rep 2009 ; 4 : 33-40.