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Coronaropathies et plongée

Coronaropathies et plongée

Un article du Dr. Benoît BROUANT, Cardiologue, Forbach

La plongée sous-marine est une activité passionnante, voire
addictive. Elle peut sembler plus contemplative que sportive,
mais l ’adaptation au mil ieu subaquatique impose des
contraintes importantes à l ’organisme et plus particulièrement
au système cardiovasculaire. Tous les cardiologues ont déjà
été, ou seront un jour, confrontés à un plongeur invétéré qui
soll icite, souvent précocement et avec insistance, l ’autorisation
de reprendre son activité favorite après un événement
coronarien. Il est donc primordial de disposer d’éléments
décisionnels et de références pour savoir si cette reprise est
possible et sous quelles conditions.

Contraintes physiologiques

La première contrainte est simplement physique avec un effet de contention par la
pression hydrostatique qui va refouler la masse sanguine vers le noyau central, c’està-
dire l’ensemble coeur-poumon, à l’abri dans la cage thoracique. Cela va augmenter
la précharge. La redistribution sanguine est encore accentuée par la vasoconstriction
liée au froid qui va augmenter la postcharge. Il y a donc une nette élévation des
pressions de remplissage cardiaque qui se traduit par une augmentation des
peptides natriurétiques. Le coeur va également être soumis aux stimulations
contradictoires des systèmes parasympathique et sympathique. Les baro- et les
thermorécepteurs cutanés de la face vont induire une décharge vagale avec une
tendance bradycarde. Les efforts de palmage, et tous les stress du milieu vont plutôt
avoir un effet adrénergique. Au cours de la plongée, l’organisme sera soumis
également à des variations de la pression partielle en oxygène avec un effet
hypertenseur et vasoconstricteur coronaire de l’hyperoxie.

Pathologies spécifiques : l’oedème pulmonaire d’immersion

Toutes ces contraintes sont parfaitement gérées par un organisme et un coeur sain,
mais sont une véritable épreuve de stress pour un coronarien avéré ou potentiel. Une
dysfonction cardiaque pourra être à l’origine d’un oedème pulmonaire d’immersion qui
est l’accident de plongée à craindre en cardiologie(1). Les autres accidents
spécifiques ne sont pas favorisés par les coronaropathies. Les barotraumatismes
n’ont pas de cause cardiovasculaire, mais peuvent être aggravés par la prescription
des antithrombotiques. Les accidents de désaturation concernent plutôt les porteurs
de shunt (en rappelant que la recherche d’un foramen ovale perméable ne doit pas
être systématique, mais uniquement réalisée en prévention secondaire).

Recommandations françaises

En 2009, nous avons publié, à la demande de la Fédération française d’études et de
sports sousmarins (FFESSM), des recommandations, pour déterminer les conditions
particulières de pratique de la plongée sousmarine de loisir pour les patients de
coronaropathie(2). L’objectif n’était pas de favoriser ni d’inciter la pratique de la
plongée par les patients atteints de cardiopathie ischémique, mais de faciliter une
prise de décision collégiale entre le médecin de plongée (qui connaît les contraintes
de l’activité) et le cardiologue (qui connaît la pathologie).
Auparavant, le référentiel de la FFESSM mentionnait comme contre-indication
médicale temporaire la notion de « infarctus récent et angor », mais sans délai ni
condition de reprise. Cela laissait place à une totale liberté d’interprétation allant de
l’opposition systématique à des attitudes complètement permissives.

Au moins 6 mois de réflexion

Après une nécrose myocardique ou une revascularisation, il y a une phase de
cicatrisation cellulaire suivie d’un remodelage ventriculaire. L’utilisation des stents
actifs a fortement diminué les resténoses avec plutôt un risque tardif de thromboses.
Ce phénomène est favorisé à des interruptions de traitement anti-agrégant
plaquettaire plutôt que lié à l’effort ou à une pratique sportive. On peut considérer
qu’à 6 mois, la situation est suffisamment stabilisée pour envisager la reprise de tout
type d’activité professionnelle ou sportive. Pendant cette période, le patient doit bien
sûr être resté totalement asymptomatique sans nécessiter de dérivés nitrés. Un
patient consommant ce type de traitement est à considérer comme potentiellement
symptomatique d’autant que leur efficacité est incertaine avec un risque
d’échappement.
Il ne doit y avoir eu aucune manifestation pouvant évoquer une instabilité
ischémique, rythmique ou une insuffisance cardiaque pour des activités physiques et
sportives de surface. Celles-ci auront dû être reprises progressivement et
encouragées dans leur régularité. La pratique de la nage avec palmes peut être
autorisée dans le cadre de ce réentraînement. Par contre la plongée libre doit se
limiter à des exercices « d’aisance ». L’apnée est encore plus éprouvante pour le
système cardiovasculaire et ne doit pas être considérée comme une alternative à la
plongée scaphandre.
Il faut d’emblée avertir le patient que la reprise ne sera pas autorisée de manière
systématique et définitive. Le délai peut paraître long, mais il doit être suffisant pour
que le patient envisage une activité alternative à la plongée. Il ne faut pas hésiter à
l’empêcher ou lui décaler la reprise prévue et ne pas céder à la pression du « voyage
réservé ». Lorsque l’histoire coronarienne est ancienne, il est impératif que le patient
ait eu un suivi cardiologique spécialisé régulier. La situation a pu évoluer depuis
l’épisode initial. Il faut être certain qu’il n’y a pas eu réapparition d’une ischémie
éventuellement silencieuse et se laisser le temps de faire les investigations
nécessaires.

Contre-indications définitives

La persistance d’une ischémie myocardique résiduelle, même silencieuse, est une
contre-indication à la pratique de la plongée. Le caractère complet d’une
revascularisation, sans persistance de sténose, n’est pas un argument suffisant.
L’épreuve d’effort ou les techniques d’imagerie de stress ne détectent que les lésions
obstructives stables et sévères (resténose ou progression de la maladie
athéroscléreuse), mais en aucun cas l’existence d’une plaque vulnérable susceptible
de se rompre. Le risque de réapparition d’un événement coronarien aigu reste donc
imprévisible(3).
Il faut donc plutôt s’interroger sur le caractère diffus de la maladie athéromateuse.
Une lésion isolée peut être traitée localement. Une atteinte généralisée relève plutôt
d’une prise en charge globale. Le risque évolutif est donc différent et, plus il y aura
de plaque, plus il y aura de possibilités de déstabilisation. Étant donné leurs risques
évolutifs, les atteintes tritronculaires et du tronc coronaire gauche doivent faire
contre-indiquer ou restreindre la pratique de la plongée sous-marine même chez un
sujet revascularisé et asymptomatique.
La notion d’angor spastique doit aussi faire contre-indiquer la plongée sous-marine.
Toutes les conditions semblent réunies en plongée pour favoriser des phénomènes
vaso-spastiques induits par une dysfonction endothéliale. L’eau froide (avec
expérimentalement le « cold pressor test ») est un puissant stimulant. On peut
également rajouter l’effet vaso-constricteur de l’hyperoxie potentiellement
spasmogène.
Enfin, l’insuffisance cardiaque est une contre-indication à la plongée sous-marine,
quelle que soit la cause de la cardiopathie. Il y a en effet trop de risque d’oedème
aigu du poumon en immersion. Même chez un sujet asymptomatique, il paraît
nécessaire de s’assurer de la normalité de sa fonction systolique. Les différentes
recommandations déterminant un risque modéré pour la pratique d’activité sportive
en cas de cardiopathie ischémique préconisent une valeur seuil de 50 % de fraction
d’éjection du ventricule gauche.

Prévention secondaire optimale

Cela implique d’abord des mesures hygiéno-diététiques et, dans tous les cas, un
sevrage tabagique complet et définitif.
Le traitement médicamenteux doit être conforme aux recommandations en vigueur
qui sont régulièrement mises à jour tout comme les objectifs de prévention
secondaire. La plupart des médicaments actuellement recommandés chez le
coronarien sont compatibles avec la pratique de la plongée sous-marine.
Les traitements bêtabloquants sont à éviter de principe chez le plongeur ou même le
sportif de surface. Ils restent cependant incontournables dans le postinfarctus. Leur
prescription doit être réalisée dans le respect strict des précautions d’emploi avec, au
moindre doute, une vérification de la fonction respiratoire et de l’adaptation à l’effort
et au froid. Si la tolérance est bonne, ils sont à maintenir chez le plongeur coronarien.
Seuls les médicaments hypoglycémiants sont à exclure formellement, mais ils ne
sont plus, actuellement, en première ligne dans la prise en charge du diabète de type
2. Le risque de noyade par malaise hypoglycémique d’effort est trop important en
plongée. Pour les diabétiques insulino-dépendants, le protocole validé par la
FFESSM n’est pas applicable, car il exclut les atteintes macroangiopathiques. Il faut
donc surtout insister sur les mesures hygiéno-diététiques chez le plongeur
diabétique.

Capacités physiques vérifiées médicalement

Le test d’effort médicalisé fait partie du suivi normal d’un coronarien surtout
revascularisé. Nous connaissons ses limites diagnostiques, mais il garde une bonne
valeur pronostique en permettant de vérifier le facteur le plus important : la capacité
physique(4).
Il est donc essentiel que le coronarien, voulant plonger, atteigne ou dépasse, sous
son traitement habituel, les objectifs théoriques pour son âge et son gabarit avec une
stabilité au cours des années attestant du maintien d’un entraînement physique
régulier. Les Américains font référence à une valeur fixe et élevée de 13 METs
(Metabolic Equivalent Term). Cela correspond en fait à une norme d’aptitude en
plongée professionnelle et militaire. Nous avons préconisé des valeurs minimales
plus réalistes pour la plongée de loisir(5) de 10 METs pour un homme de moins de 50
ans, 8 METs pour un homme de plus de 50 ans ou une femme de moins de 50 ans
et 6 METs pour une femme de plus de 50 ans en sachant que les femmes
consomment significativement moins d’oxygène en plongée pour une activité
subaquatique équivalente.

En pratique

▸ Les activités subaquatiques sont extrêmement contraignantes pour
l’organisme et en particulier le système cardiovasculaire.
▸ L’objectif de ces recommandations n’est, en aucun cas, d’encourager
la pratique de la plongée sous-marine par les patients coronariens.
Tout plongeur présentant une coronaropathie devrait, initialement, être
dissuadé de continuer à la pratiquer.
▸ La passion ou l’envie sont parfois plus fortes que la raison. Chez un
patient qui a l’impression d’avoir été guéri, une contre-indication de
principe à la plongée pourra être mal comprise et sembler contestable.
Cela peut entraîner des prises de risque en sachant qu’il n’y a aucun
contrôle médical sur la plongée hors structure.
▸ Le plongeur doit pouvoir bénéficier d’une prise en charge et de
conseils personnalisés quitte à adapter sa pratique avec une reprise
progressive et prudente dans un cadre récréatif (sans pratique
d’exercices techniques ni d’encadrement d’autres plongeurs pour les
moniteurs bénévoles). De plus, la perspective d’une reprise de la
plongée peut être un formidable outil de motivation pour le contrôle des
facteurs de risque.
▸ Avant d’envisager toute décision, il faut s’assurer :
– que la fonction cardiaque et les capacités physiques du patient soient
compatibles avec cette activité ;
– que la plongée n’entraînera pas d’aggravation ou de déstabilisation
de la pathologie avec un risque ischémique, rythmique ou
hémodynamique d’incapacité subite (et donc de noyade secondaire) ;
– qu’il n’y a pas de majoration du risque d’accidents spécifiques de
plongée (barotraumatisme, accident de désaturation et surtout oedème
pulmonaire d’immersion) liée à la pathologie ou à son traitement.

Références

Cliquez sur les références et accédez aux Abstracts sur
1. Henckes A, Lafay V. L’oedème pulmonaire d’immersion, in Coeur et plongée, Ellipses éd.
2017 : 217-235 Rechercher l'abstract
2. Brouant B et al. Specific conditions allowing for recreational scuba diving in subject with
coronary artery disease : French underwater federation guidelines. Arch Cardiovasc Dis
2009 102 (special issue) : A93-A94 / Bull Med Sub Hyp 2009 ; 19 : 165-176 Rechercher l'abstract
3. Finet G. Coronaropathies, in Coeur et plongée, Ellipses éd. 2017 : 113-132. Rechercher l'abstract
4. Marcadet DM et al. Recommandations de la Société française de cardiologie pour les
épreuves d’effort. 2018 : https://sfcardio.fr/publication/recommandations- pour-les-epreuvesdeffort.
Rechercher l'abstract
5. Ainsworth et al. Arizona state university, Phoenix, Compendium of Physical Activities: a
second update of codes and MET values. Med Sci Sports Exerc 2011 ; 43(8) : 1575-
81. Rechercher l'abstract

 

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