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Vous avez un gros coeur, c’est sûrement le sport...

Vous avez un gros coeur, c’est sûrement le sport...

Cas clinique. Dr Stéphane Cade

Tout le problème se situe dans ce mot “sûrement”. En effet, il faut se méfier des conclusions hâtives menant à un coeur d’athlète devant toute dilatation ventriculaire gauche (VG) et ne pas méconnaître une cardiomyopathie dilatée hypokinétique débutante.

PRÉSENTATION DU CAS

M. M., 44 ans est un ultra-trailer de 1,85 m pour 82 kg. Il s’entraîne à raison de 16 à 20 heures de course à pied par semaine. Ces derniers mois, il s’est plaint de palpitations, dont une tachycardie soutenue lors d’une course l’obligeant à abandonner, ce qui l’amène à consulter. Le tracé ECG (Fig. 1) retrouve une banale bradycardie sinusale à 45 bpm. Le Holter sur 48 heures retrouve plusieurs épisodes d’alternance entre dysfonction sinusale et accès de fibrillation atriale (Fig. 1). L’échocardiographie (Fig. 2) qui a fait suite retrouve un VG dilaté avec un diamètre télédiastolique à 66 mm, un volume télédiastolique de 164 ml et une fraction d’éjection VG subnormale à 52 % avec une fonction diastolique normale sans être supranormale. Le strain global longitudinal est chiffré à -16,4 %. L’oreillette gauche est nettement dilatée à 32 cm².

ECG ET ÉCHOCARDIOGRAPHIE : COMMENTAIRES

Selon la dernière classification de Seattle de l’ECG chez le sportif, cette bradycardie sinusale isolée n’est pas surprenante chez cet endurant et fait partie, avec le bloc de branche droit incomplet, le bloc atrio-ventriculaire du 1er degré, l’aspect de repolarisation précoce et l’hypertrophie ventriculaire gauche électrique avec hypervoltage du QRS isolé, des critères classiques retrouvés et acceptés chez l’athlète (1). La découverte d’une arythmie atriale documentée est plus ennuyeuse, même si ce type d’arythmie n’est pas étonnant chez ce sportif. De nombreuses études ont mis en évidence une relation directe entre activité sportive intense et prolongée et incidence de fibrillation atriale dans le suivi de sportifs pratiquant une activité d’endurance prolongée et/ou intense (2). Une activité d’endurance soutenue entraîne des contraintes cardiovasculaires importantes. Au niveau cardiaque, la contrainte atriale est multiple avec dilatation du massif auriculaire, étirement atrial secondaire à l’hyperdébit plus ou moins associé à une réaction inflammatoire pouvant à terme aboutir à une fibrose, le tout dans un contexte de modification de la balance autonomique (hypertonie vagale/hyposympathicotonie) et de dispersion des périodes réfractaires. Le sport d’endurance intense et répété est donc actuellement reconnu comme un facteur pouvant favoriser la survenue de fibrillation atriale (3), mais doit, sans oublier le dopage, impérativement nous faire éliminer une cardiopathie sous-jacente dans laquelle cette arythmie s’intégrerait. Concernant la taille du VG, il est là aussi assez classique de retrouver chez l’athlète endurant un VG modérément dilaté, associé à une dilatation harmonieuse des autres cavités cardiaques (4).

Encore faut-il s’assurer que nous avons affaire à un véritable athlète, s’entraînant suffisamment en intensité et en durée pour que ce travail physique puisse avoir un retentissement visible avec au moins de 6 à 8 heures de sport par semaine, depuis plusieurs mois (6 minimum) et à une intensité supérieure à 60-70 % du VO2 avec une performance sportive corrélée à l’entraînement chez un sujet qui doit être asymptomatique. Concernant la fonction diastolique du VG, une amélioration de la relaxation ventriculaire chez l’athlète toujours endurant peut se traduire par un aspect de super relaxation faisant évoquer un flux restrictif avec classiquement un rapport E/A mitral proche ou supérieur à 2 (5) alors que ce rapport serait plutôt inversé en présence d’une cardiomyopathie dilatée débutante (CMD). Enfin, quel commentaire pouvons-nous apporter sur l’étude des déformations myocardiques de ce sportif ? La valeur normale supérieure (attention, car exprimée en valeurs négatives) chez l’athlète se situerait, d’après d’Andrea, à -16 % (6), avec selon les études des valeurs habituellement comprises entre -17 et -22 % alors qu’elles sont à -15 % et plus en présence d’une CMD (ou d’une cardiopathie hypertrophique). Nous sommes donc en présence d’une forme frontière avec plusieurs zones grises et, à ce stade et devant tous ces éléments, il est difficile de conclure à l’absence de CMD débutante sous-jacente. D’autres informations semblent nécessaires pour avancer dans le diagnostic entre CMD ou coeur d’athlète et pouvoir trancher. Nous avons donc décidé de réaliser une échographie d’effort, une IRM cardiaque et une épreuve d’effort cardiorespiratoire.

L’échographie cardiaque à l’effort a été menée jusqu’à 320 W, 142 bpm, soit 80 % de la FMT avec un inconfort certain lors de la réalisation. Le sportif est resté asymptomatique sans modification électrique ni arythmie. Dès les premiers paliers, la fonction VG s’est améliorée passant de 52 % à l’état basal à 63 % à 50 W pour des fréquences cardiaques respectives de 41 et 70 bpm et des déformations myocardiques passant de -16,4 à -17 %. Il n’y a pas de signe d’hypertension pulmonaire. L’IRM a confirmé une dilatation VG modérée sans autre anomalie significative, notamment l’absence de plages de rehaussement tardif. Nous avons complété le tout par la réalisation d’une épreuve d’effort cardiorespiratoire qui a été menée jusqu’à 405 W pour une fréquence cardiaque de 157 bpm, soit un VO2 de 4,2 l/min, soit 126 % de la théorique et 49,4 ml/ min/kg avec une réponse normale du pouls d’oxygène sans anomalie sur les autres paramètres (Fig. 3).

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